Les
régimes autoritaires
HERMET
Guy, « L’autoritarisme », in
GRAWITZ Madeleine et LECA Jean, Traité de science politique,
tome 2,
PUF, 1985
A.
Définition
1.
La
Logique de l’autoritarisme
L’autoritarisme caractérise un mode
d’exercice du pouvoir qui interdit
l’expression publique du désaccord et, ce faisant,
pratique un abus constant
d’autorité. De la sorte, l’autoritarisme
désigne un rapport entre gouvernants
et gouvernés qui repose de manière suffisamment
permanente sur la force plutôt
que sur la perssuasion. Plus perceptiblement, l’autoritarisme
pratique un
mécanisme de recrutement des dirigeants reposant sur la
cooptation et non sur
des élections pluralistes. On peut donc parler d’un
véritable monopole du
pouvoir par les gouvernants, à la nuance près que
ceux-ci, contrairement au
totalitarisme, n’exigent pas des citoyens qu’ils partagent
intimement
l’idéologie des gouvernants et peuvent très bien
s’accommoder d’un pluralisme
qu’ils contrôlent étroitement.
2.
Une
classe typologique variée
Si l’autoritarisme occupe un espace typologique bien
distinct entre la
démocratie pluraliste et le système totalitaire, il
n’en reste pas moins
englobant à l’excès, comme en témoigne les
formes diverses qu’il peut prendre.
Il est à ce titre intéressant de distinguer d’abord
l’autoritarisme
pré-démocratique, dont la forme la plus aboutie reste le
bonapartisme, de
l’autoritarisme post-démocratique, qui se résume en
fait au fascisme. Les
expériences passées sont également riches en
exemples : dictature civile
traditionnelle (Espagne de Franco, Portugal de Salazar) ;
dictature
militaire d’Amérique latine (Chili de Pinochet) et
d’Asie du sud-est (Corée du
Sud de Park Chung-hee) ; dictature populiste
latino-américaine (Argentine
de Peron, Vénézuela de Chavez) ; dictature
traditionnelle d’Etat
décolonisé (Afrique) ; régime nationaliste et
socialisant arabe (Egypte de
Nasser, Irak de Hussein) ; monarchie islamiste (Arabie
Saoudite) ;
totalitarisme avorté (Pologne).
B.
Délimitation
L’autoritarisme est d’autant plus complexe à
analyser qu’il peut donner
lieu à diverses approximations conceptuelles. Une clarification
s’impose donc
afin d’en délimiter les contours.
1.
Autorité
et autoritarisme
Définir l’autoritarisme nécessite au
préalable de le distinguer du
concept d’autorité, ce qui n’est pas sans souligner
les risques d’une certaine
imperfection de la terminologie admise à la fois par le langage
courant et par
la science politique. L’autorité désigne
l’ascendant exercé par le détenteur
d’un pouvoir quelconque, qui conduit ceux auxquels il
s’adresse à lui
reconnaître une supériorité qui justifie son
rôle de commandement. Pour Weber,
c’est en tant que détenteurs
privilégiés d’un monopole de la violence
légitimé que les gouvernements
revendiquent tous l’autorité. On dira donc sorti de
l’approche marxiste — pour
qui les
gouvernements procèdent tous d’une relation inégale
de gouvernants à gouvernés
ou dominés, autrement dit d’une relation autoritaire —
et dans la mesure où elle apparaît comme légitime,
l’autorité revêt une valeur globalement positive. L’autoritarisme
désigne
quant à lui une forme de gouvernement qui interdit
l’expression publique du désaccord. Face à cet abus
d’autorité, à cette
violence arbitraire, le concept d’autoritarisme sera donc
connoté plutôt
péjorativement.
2.
Illégitimité
de l’autoritarisme
L’autoritarisme ne peut se concevoir sans prendre en
compte la dimension
relativiste qui l’entoure, en ce sens qu’il reste un
concept largement marqué
par la sensibilité occidentale contemporaine des pratiques
légitimes de
gouvernement. Si l’autoritarisme est le plus souvent
marqué du sceau de
l’illégitimité lorsqu’il procède
d’une carence du consentement populaire (Chine
de Mao, Irak de Hussein, Chili de Pinochet), on objectera que cette
situation
n’est pas nécessairement présente, un régime
autoritaire pouvant fort bien être
instauré à la suite d’un plébiscite
(Allemagne de Hitler, Iran du Khomeiny).
Dans ce cas, l’illégitime provient avant tout d’un
rejet de la primauté de la
souveraineté politique par les pratiques mises en place une fois
au pouvoir.
Toujours est-il que le concept d’autoritarisme reste
influencé par la norme
occidentale, si bien que la philosophie politique est amenée
à réfléchir sur la
vocation universelle des droits de l’Homme. A l’image de
RAYMOND ARON[1],
certains auteurs sont parvenus à écarter toute approche
normative en montrant
que l’autoritarisme pouvait constituer une phase transitoire vers
la
démocratie. Le régime autoritaire se présenterait
alors en artisan du
redressement d’une démocratie malmenée ou en
constructeur d’une démocratie à
édifier, ainsi que le rappellent l’Espagne franquiste ou
la démocratisation
d’anciens régimes militaires et populistes
d’Amérique Latine. Il s’avère donc
indispensable, à l’image de BERNARD CRICK[2],
de rejeter toute approche de l’autoritarisme en tant
qu’« antipolitique » outrageant pour le
politiste.
3.
Dictature
et autoritarisme
Dans son acception initiale la dictature désigne, sous la
République
romaine, une magistrature suprême d’exception
légalement investie à titre
provisoire par le Sénat pour faire face à une situation
critique dans laquelle
les règles ordinaires du gouvernement sont suspendues. Le
dictateur est alors
considéré comme un homme providentiel et honoré au
plus au point. La dictature
telle qu’on l’entend aujourd’hui naît avec
Auguste (63 av. J.C. - 14 apr.
J.C.), qui lui enlève sa limite de durée et son
caractère légal. Elle
caractérise alors un régime arbitraire qui n’a
d’autre frein que la volonté de
celui qui exerce le pouvoir —
en ce sens,
elle se rapproche de la tyrannie. Mais
si le vocable dictature est devenu assez
synonyme d’autoritarisme, il n’en demeure pas moins que ce
dernier repose bien
souvent sur un pouvoir collégial où le chef de
l’Etat n’agit que comme leader
d’un groupe d’intérêts. Si ce n’est
dès son arrivée au pouvoir, cette
collégialité naît d’un processus de
banalisation de son charisme et de
subordination de son pouvoir unique à un pouvoir de plusieurs.
On soulignera
donc que le terme d’autoritarisme s’applique beaucoup mieux
que celui de
dictature à la réalité politique contemporaine,
d’aucuns sont généralement les
autoritarismes à reposer sur le pouvoir d’un seul.
4.
Totalitarisme
et autoritarisme
Si le refus de la compétition électorale
caractérise également le
totalitarisme, ce dernier présente des discriminants
décisifs devant nous
amener à écarter toute simplification taxonomique. La
dynamique du
totalitarisme repose ainsi sur la création d’un homme
nouveau destiné à se
fonder dans un ensemble social refaçonné et non
différencié avec l’Etat.
Répudiant le pluralisme tant social qu’idéologique
au nom de cette visée
unificatrice réalisée sur la base d’un encadrement
du peuple et de la culture,
le totalitarisme s’efforce donc de gommer la
réalité sociale par plusieurs
procédés :
-
L’élaboration
d’une légitimité scientifique
justifiant la
finalité du projet totalitaire. L’URSS s’appuie le
matérialisme historique de
Marx afin de légitimer la collectivisation et la planification.
L’Allemagne
nazie quant à elle reprend l’espace vital de
Ratzel et le mythe du
surhomme de Nietzsche par un dévoiement évident de
leur pensée.
-
L’atomisation
des individus
engendrant, selon
HANNAH ARENDT[3],
une dépolitisation et une
élimination des particularismes socioculturels et des relations
interpersonnelles susceptibles de freiner la suppression de la
différence entre
l’Etat et la société. Par la suite, le
totalitarisme prend constamment garde à
stopper le retour de groupes identitaires par divers moyens (parti
unique et
centralisation étatique, terreur policière, propagande).
-
Une
mobilisation idéologique assurant
l’intériorisation d’un référentiel
global mis en place pour pallier
l’effritement des représentations sociales
inhérentes à l’atomisation des
individus, ceux-ci étant disponibles pour de nouveaux
modèles de socialisation.
En terme de ritualisation, une logique de répétition
(discours, chant,
questions limitées, applaudissement) dont la formalité
empêche l’affirmation de
groupe sociaux est mise en place.
B.
Discriminants
de l’autoritarisme
L’autoritarisme idéal typique repose sur un certain
nombre de
discriminants permettant de l’isoler de la démocratie et
du totalitarisme, les
deux autres régimes politiques possibles.
1.
Un
verrouillage institutionnel
étroit : empêcher toutes
expressions publiques d’un
désaccord
La première préoccupation de dirigeants soucieux
d’empêcher toute remise
en cause de leur présence au pouvoir réside dans la mise
en place d’un
verrouillage institutionnel étroit.
-
Une
interdiction de toutes activités
politiques organisées
(partis, syndicats, associations, comités
d’intellectuels), ce qui inclut bien évidemment
l’absence d’élections. Cette
politique nécessite soit l’inexistence dans la
société d’une tradition
démocratique (Arabie Saoudite), soit l’instauration
d’un climat de violence
étatique visant à l’intimidation ou la suppression
des opposants les plus
téméraires (Grèce des colonels), voire les
deux. On notera cependant que
cette manière d’opérer est relativement drastique,
ce pourquoi le procédé
suivant est beaucoup plus envisageable.
-
Un
contrôle étroit de la vie politique
assurant une
canalisation de l’expression populaire et un renouvellement de la
confiance.
Cette politique nécessite soit l’instauration d’un
pseudo-pluripartisme
(Amérique Latine), soit l’instauration d’un parti
unique (Afrique) ne tolérant
aucune opposition. Si des élections ont effectivement lieu,
celles-ci ne
concernent bien souvent pas le chef effectif du régime mais un
personnage
symbolique tel un monarque héréditaire (Maroc
d’Hassan II) ou un guide investi
d’un mandat à vie (Lybie de Kadhafi) ou / et sont si
étroitement contrôlées,
voire truquées, qu’elles permettent de reconduire le
pouvoir en place.
2.
Un
contrôle total de l’Etat et des
médias : pérenniser le pouvoir et lui construire une
légitimité
La prohibition de
l’expression publique
du désaccord ne saurait se concevoir sans un contrôle de
l’Etat et des médias
d’informations afin pérenniser le pouvoir et lui
construire une légitimité.
-
Un
contrôle total de l’appareil d’Etat, du
sommet jusqu’à
la base, assurant la pérennité du pouvoir. Ce
contrôle dépend cependant du
degré de différenciation politique de la
société. Ainsi dans les sociétés
politiques encore peu différenciées, on privilégie
des mécanismes d’allégeance
familiales ou tribales, ou bien des réseaux clientélistes
fondés sur la
réciprocité des services rendus. Dans les
sociétés politiques différenciées et
administratives, on privilégie l’institutionnalisation
d’un parti unique
permettant d’assurer la sélection des cadres
fidèles et l’encadrement
extérieur des masses par la violence physique (appareil de
répression) et
symbolique (propagande).
-
Un
musellement étroit des médias
(presse, radio,
télévision) puis leur utilisation par le recours à
divers procédés (propagande,
fausses informations) afin de légitimer le pouvoir en place. Il
convient
cependant de rappeler que les médias d’informations
conservent une liberté
d’expression dans les domaines qui n’ont pas trop de
connexions avec la
politique (culture, religion, loisirs). Cela s’explique par le
fait que,
contrairement au système totalitaire, le régime
autoritaire n’ambitionne pas de
conquérir les esprits mais seulement d’assurer
l’ordre public intérieur,
c’est-à-dire une façade d’immunité.
Les techniques de mobilisation de masse
(endoctrinement de la jeunesse,
« éducation » politique au travail)
sont donc faiblement employées, même si la propagande est
au cœur de l’ambition
légitimatrice du pouvoir.
3.
Un
relâchement contrôlé de la
domination : fournir un échappatoire à l’emprise du
régime
Si l’autoritarisme est institutionnellement monolithique,
il pratique
néanmoins un relâchement contrôlé de sa
domination dans certaines sphères de la
vie sociale, du moins tant que le pouvoir n’est pas
contesté, afin de fournir à
la population un échappatoire qui lui permet de quitter
provisoirement
l’emprise du régime.
-
Le
polycentrisme des pouvoirs
correspond à la
reconnaisse de l’autonomie d’action de certaines
institutions économiques ou
sociales sur la base d’un pacte — tacite
ou explicite
— de
soutien réciproque. Pour PHILIPPE C.
SCHMITTER[4],
les
régimes autoritaires
pratiquent ainsi un «
équilibre manipulé de façon centrale entre des
hiérarchies institutionnelles égales » telles
que l’administration,
l’armée, les entreprises, l’Eglise ou certains
groupes sociaux. Dans l’Espagne
franquiste, l’Eglise joue ainsi un rôle primordial dans la
stabilisation du
régime. Citons également le rôle du milieu des
affaires dans le Chili de
Pinochet ou la place de l’allégeance tribale dans
l’Irak à partir de 1980).
-
Le
pluralisme des idéologies
correspond à la
reconnaissance d’une expression politique dans les secteurs qui
coïncident avec
les orientations du pouvoir. En effet, même si
l’autoritarisme rejette la mise
en concurrence électorale, il peut fort bien accepter, selon
JUAN J. LINZ [5],
un « pluralisme limitée », dès lors
que celui-ci permet un
élargissement contrôlable de l’assise du pouvoir au
prix de l’acceptation d’une
opposition en quelque sorte consentie. Par conséquent, le
régime autoritaire ne
va appliquer qu’une répression sélective à
l’encontre des seuls adversaires
actifs et déclarés du régime, tout en surveillant
étroitement les ennemis
supposés composant ce pluralisme limité.
C.
Types
de régime autoritaire
Plus qu’un autoritarisme, la science politique est
amenée à étudier une
multitude de situations autoritaires dont l’analyse ne saurait
ignorer les
fondements tant historiques que sociologiques.
1.
L’autoritarisme
patrimonial
MAX WEBER[6]
avait déjà proposé le
terme de gouvernement patrimonial pour caractériser le mode de
domination
traditionnel dans lequel le chef ne distingue pas ses biens
privés de ceux de
l’Etat au sein d’une société encore peu
différenciée. Dans la lignée de Weber,
SHMUEL N. EISENSTADT[7],
propose le
« néo-patrimonialisme » pour
caractériser la
prééminence du pouvoir politique sur des
sociétés dépourvues d’autonomie
propre, sociétés dans lesquelles les détenteurs de
l’autorité pourraient
s’arroger tous les pouvoirs d’allocation des biens
matériels, des positions
statutaires et des représentations symboliques, et cela sans
formalisme
décisionnel excessif. Pour consolider les allégeances et
stimuler le loyalisme
de ses soutiens, le pouvoir alloue aux groupes sociaux des ressources
(promotions, biens matériels et privilèges) les
détournant du désir
d’expression politique. Un tel concept rend
particulièrement bien compte des
situations autoritaires arabo-musulmanes, dans lesquelles le pouvoir
est entre
les mains d’une oligarchie définie par des liens
familiaux, géographiques ou
religieux (monarchies du Golfe, Syrie de Assad, Irak de Hussein), ou
africaines, dont le dirigeant se comporte comme si l’Etat
constituait son
patrimoine personnel (Zimbabwe de Mugabe ; Zaire de Mobutu ;
Centrafrique de Bokassa).
2.
L’oligarchie
clientéliste
L’oligarchie clientéliste
caractérise un régime à
façade parlementaire et pluraliste qui, sous la menace
d’une révolution des
masses populaires, bloque la voie démocratique à
l’alternance du pouvoir de
forces politiques issues du monde des affaires et de la
propriété terrienne. En
marge d’un Etat jugé incapable à lui seul de
garantir la stabilité politique,
des liens clientélistes se nouent sur la base d’une
démocratie apparente jouant
surtout le rôle d’ajusteur pacifique des
intérêts des diverses factions de
l’oligarchie (en Amérique Latine, l’aristocratie
foncière et conservatrice
intérieure s’oppose à la haute bourgeoisie
marchande et côtière). Ainsi se
met en place, selon JEAN LECA et YVES SCHEMEIL[8], une « alliance dyadique verticale entre
deux personnes de statut, de pouvoir et de ressources inégales,
dont chacune
[…] juge utile d’avoir un allié supérieur ou
inférieur à elle-même ».
Inutile néanmoins d’interpréter cette relation
inégale comme une décision
volontaire motivée par un calcul utilitariste. Bien au
contraire, l’oligarchie
clientéliste reflète une situation où la servitude
est en quelque sorte
institutionnalisée entre un petit groupe de ruraux
éduqués et un vaste groupe
qui se caractérise par la pauvreté et l’isolement
au sein de microsociétés
segmentées et dépourvues d’une conscience de
classe. L’oligarchie clientéliste
a donc des composantes sociologiques et historiques évidentes.
En Amérique Latine,
ou elle s’est le plus manifestement développée,
elle est le produit de
l’évanouissement de l’Etat centralisateur avec
l’indépendance. Elle prend ainsi
place sur des structures agraires mises en place par les Espagnols et
entretient des relations clientélistes entre un petit groupe
occidentalisé de
propriétaires terriens latifundiaires et une vaste paysannerie
salarié ou
minifundiaires.
3.
Le
bonapartisme et le populisme
Analysé par ANTONIO GRAMSCI[9],
le bonapartisme est un modèle de dictature dites
« libérale » qui
s’appuie sur un césarisme démocratique. Il Trouve
sa plus belle réalisation
dans les deux régimes napoléoniens que la France a connus
au XIXème
siècle et, dans une moindre mesure, dans l’Allemagne
bismarckienne. Il conjugue
alors la prééminence absolue du pouvoir exécutif
sous l’égide d’un empereur à
vie, la référence aux valeurs patriotiques en vue
d’obtenir un consensus
populaire le plus large possible et la pratique
répétée du suffrage universel
de type plébiscitaire ou législatif. On comprend donc que
le bonapartisme
repose largement sur une dynamique populiste lui conférant une
légitimité
certaine et permettant d’accompagner sans grandes oppositions des
mutations
d’ordre culturel (premier Empire) ou économique (second
Empire). Il se conçoit
alors lui-même comme un agent du changement
pré-démocratique, comme un vecteur
de la modernisation et de l’apprentissage contrôlé
et progressif du suffrage
universel, mené sous l’égide d’un Etat
tutélaire dégagé des contraintes
partisanes et parlementaires. Le bonapartisme repose donc sur une
ambiguïté
parfaitement résumée par Napoléon III :
« La liberté n’a jamais aidé
à fonder d’édifice durable ; elle le couronne
quand le temps l’a
consolidé ». Toutes ces précisions anticipent
les régimes de type nationaliste
et populiste qui s’affirment au cours du XXème
siècle sous la
direction d’un militaire charismatique s’appuyant sur la
classe moyenne afin de
moderniser à marche forcés la société
(Turquie de Kemal ; Egypte de
Nasser ; Irak de Hussein ; Algérie de Boumedienne). Le
chef s’appuie
alors sur le triptyque charisme – nationalisme – populisme
légitimant et
permettant le processus modernisateur. Dans ces pays,
l’armée constitue par
ailleurs le principal canal de mobilité social pour les couches
modestes dont
sont issus les dirigeants.
4.
La
bureaucratie autoritaire
Reprenant l’apport wébérien sur la
bureaucratie rationnelle-légale,
GUILLERMO O’DONNELL[10]
propose la « bureaucratie autoritaire » en tant
qu’autoritarisme
moderne et rationnel. Une première variante concerne les Etats
conservateurs et
corporatistes dans lequel le pouvoir bureaucratique étatique
délègue certains
de ses attributs à des corps intermédiaires de la vie
économique, culturelle et
professionnelle (Portugal de Salazar ; Mexique de Cardenas ;
régimes
militaires latino-américains). Une seconde variante de la
bureaucratie
autoritaire concerne les régimes progressistes et socialiste.
L’Etat et le
parti unique monopolisent alors la vie politique, sociale,
économique et
culturelle et deviennent de simples machines bureaucratique au service
de la
pérennisation des cadres (URSS de Brejnev), l’ambition
révolutionnaire étant
abandonnée. Toujours est-il que des accommodements explicites
(Pologne) ou non
(RDA, URSS) peuvent très bien s’enclencher avec des forces
sociales
indépendantes (Eglises, intellectuel dissidents, nationalistes),
bien que le
monolithisme politique les rendent quelque peu limités.
[1]
Raymond Aron, Démocratie
et totalitarisme, Gallimard, 1965.
[2] Bernard Crick, In Defense of politics, Penguin
Books, 1971.
[3] Annah
Arendt, Le
système totalitaire, Editions du Seuil, 1972.
[4] Philippe C. Schmitter, « The Portugalization
of
Brazil » in Alfred Stephan, Authoritarian Brazil,
Yale University
Press, 1973.
[5] Juan J. Linz, « Opposition in and under the
authoritarian regine », in Robert A. Dahl,
Regimes and
oppositions, Yale University Press, 1973.
[6] Max
Weber, Economie
et société, 1922.
[7] Shmuel
N.
Eisenstadt, Traditional patrimonialism and modern neopatrimonialism,
Sage Publications, 1973.
[8] Jean
Leca et Yves
Schemeil, Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le
monde arabe,
International Political Review 4, 1983.
[10] Guillermo O’Donnell, Modernization and
bureaucratic-authoritarianism, Berkeley Institute of International
Studies,
1973.